Excursion du 6 septembre 2008

De Crocq à Herment, dans les pas des comtes d’Auvergne (23 – 63)

En ce samedi de septembre, au départ de Guéret, le ciel ne semblait pas vouloir nous être favorables, il nous sembla même carrément hostile à notre arrivée à Crocq. Il tombait des cordes.

Jacques Longchambon, maire et président de l’association Sauvegarde du vieux Crocq et de son environnement, notre mentor en la circonstance, nous accueillit dans une salle de la mairie et nous présenta la commune en attendant des cieux plus cléments.

Quinze années plus tôt, lors de la séance foraine du 22 mai 93, « Jacques Longchambon, président de l’association Sauvegarde du vieux Crocq et de son environnement, expose avec passion les buts de son association, les actions de sauvegarde et de restauration menées avec Geneviève Cantié (D.R.A.C. du Limousin) et Patrick Gironnet, architecte des Bâtiments de France, puis s’étend sur la pelleterie locale. L’association prépare en effet l’ouverture d’un musée consacré à celle-ci, à l’art religieux et à l’histoire de Crocq et de sa région. Patrick Gironnet a ensuite commenté des diapositives et des croquis des vestiges du château et présenté une réhabilitation possible1 » ; aujourd’hui, mission accomplie.

Les tours du château, aménagées pour la visite (escalier métallique, table d’orientation) ont été notre première visite. La plupart d’entre nous ont fait l’ascension (84 marches) pour admirer le panorama, puis nous nous sommes rendus à l’écomusée, installé dans une maison du XVIIe siècle et, en grande partie, consacré à la pelleterie – Les établissements Chapal, qui ont cessé leur activité en 1984, ont employé jusqu’à 300 personnes, seul subsiste un atelier de confection de vêtements de cuir haut de gamme – ; le musée possède également des objets religieux (dont de très beaux vêtements sacerdotaux) et une collection complète du journal Le Mémorial de la Marche (avis aux chercheurs).

La chapelle de la Visitation, don de la famille Cornudet à la commune, abrite le très remarquable triptyque (daté autour de 1530) relatant la vie de saint Éloi. Daniel Dayen profita de l’abri qu’elle nous offrait, à nous aussi, pour nous parler de cette famille Cornudet dont l’histoire, depuis la Révolution, est indissociable de celle de Crocq et plus particulièrement de Louis Joseph Émile Cornudet des Chaumettes, personnage atypique et haut en couleurs.

Une légère éclaircie nous laissa ensuite le loisir de flâner dans le parc du château Cornudet avant de rejoindre l’auberge Saint-Éloi pour déjeuner. Des cataractes se déversèrent – fort opportunément pendant le repas – pour s’apaiser lorsque Jacques Longchambon nous conduisit visiter un moulin à chanvre, au lieu-dit chez Canard.

Un petit kilomètre à pied et nous découvrîmes deux bâtiments sur la Tarde : un moulin à foulon parfaitement restauré que nous pûmes voir en action, le second bâtiment abritant un métier à tisser. Contiguë, une pièce de terre plantée de chanvre fournit la matière première.

Profitant du parcours entre Crocq et Giat, Pierre Ganne nous entretint de l’histoire du comté d’Auvergne avant de nous conduire in situ pour nous parler de l’impressionnante motte castrale de Giat.

Nous avions ensuite rendez-vous, à Herment, avec le jeune maire de la commune, Boris Souchal. Féru d’histoire, très impliqué dans la conservation et la défense du patrimoine de sa commune, il nous fit visiter la très belle collégiale.

Pour terminer cette journée, Pierre Ganne et Boris Souchal, nous avaient réserver une surprise : ils nous présentèrent le trésor de Barberol, découvert sur la commune d’Herment et dont ils sont les coinventeurs. Ce dépôt monétaire, daté de la guerre de Cent Ans, se compose de 48 pièces d’or (monnaies royales et féodales).

Nous sommes rentrés à Guéret éblouis ; qui d’entre nous se souvient d’avoir fait usage de son parapluie ?

Merci à Jacques Longchambon, Pierre Ganne et Boris Souchal pour avoir partagé avec nous un peu de leurs savoirs et de leurs passions tout au long de cette journée.

Texte Gilliane Rommeluère - Photos Jean Lelache

 

Les comtes d’Auvergne

Le pays de Crocq, Giat et Herment est une ancienne terre des comtes d’Auvergne. Robert III (v. 1095-v. 1147) fut le dernier représentant de la dynastie comtale qui avait pris le pouvoir avant la fin du Xe siècle (vers 980). À sa mort (la date est incertaine), les droits de son fils, Guillaume VII dit le Jeune, furent en partie usurpés par l’oncle de celui-ci, Guillaume VIII dit le Vieux et l’ancien comté fut partagé (vers 1167). À la suite de ce conflit familial et de la partition de l’Auvergne qui s’ensuivit, la région d’Herment revint à Guillaume VII et à ses descendants, qui, après avoir prétendu aux titres ambigus de « comte d’Auvergne » et de « comte de Clermont », adoptèrent dans le courant du XIIIe siècle celui de « dauphin ».

Les terres autour de Crocq, Giat et Herment correspondent aux marges des possessions delphinales qui, dans l’ouest de l’Auvergne, avaient Rochefort pour centre. Dans cette partie des montagnes occidentales, les comtes d’Auvergne puis les comtes dauphins affirmèrent leur présence et assurèrent leur domination par le moyen de plusieurs châteaux.

Celui d’Herment a été construit par le comte Robert III au milieu du XIIe siècle, qui y associera une église, devenue collégiale en 1232. Les comtes dauphins, à qui était revenu le château d’Herment à la suite du partage de l’Auvergne, disposaient également dans le troisième quart du XIIe siècle d’un autre château, dont on ignore les origines, installé à Fernoël et associé également à une église, l’église de Gorces, aujourd’hui disparue. Quant au château de Crocq, sa construction est traditionnellement attribuée aux comtes dauphins vers 1190, peut-être Dauphin d’Auvergne (1169-1234), petit-fils de Robert III. Mais la plus ancienne mention certaine est postérieure de plus d’un quart de siècle (1225/1226).

Cette trame castrale semble avoir été précédée par une autre organisation, dont Giat aurait été le centre. En effet, à faible distance de l’église paroissiale, une grosse motte atteste la présence d’un château de type archaïque. Tout donne à penser que la construction de ce château à motte se situe à l’époque comtale mais il n’existe pas de texte pour expliquer ses origines et sa signification.

À la suite de la conquête de l’Auvergne par les Capétiens au début du XIIIe siècle, un nouvel équilibre politique se mit en place. Une partie des anciennes terres comtales fut annexée à la couronne et forme la « Terre royale d’Auvergne » érigée en apanage au profit d’Alfonse de Poitiers. En Combraille méridionale, les comtes dauphins restèrent les principaux seigneurs mais Alfonse de Poitiers utilisa toutes les ressources des institutions féodales et seigneuriales pour y affirmer sa présence et asseoir ou renforcer son influence.

Au milieu du XIVe siècle, à la suite d’une politique d’abandon, les comtes dauphins ne conservaient plus, dans les montagnes occidentales, que Rochefort et Aurières.

 

La motte de Giat

La motte de Giat est construite sur un affleurement rocheux, visible par endroits à sa base. Après avoir tracé au sol un cercle d’une soixantaine de mètres de diamètre, on a creusé un fossé (dont le fond est aujourd’hui repris par un chemin) en rejetant la terre extraite vers l’intérieur, pour atteindre une douzaine de mètres de hauteur et créer une plate-forme sommitale de 25 à 30 mètres de diamètre.

Il ne reste rien de la vraisemblable tour en bois qui s’y élevait. Seul un creux marque l’emplacement des fouilles entreprises par M. de La Salle en 1783 qui « permit de pénétrer jusqu’à la base où l’on trouva d’abord quelques traces de vases de terre, quelques outils et un puits, bâti en son contour à soixante pieds [20 mètres] en dessous de la base de cette butte ». Une construction similaire, mise au jour dans une motte à Teissonnières (commune de Verneugheol), a été interprétée comme une cave ou un silo enterré.

Au nord-est de la motte, les chemins dessinent une sorte d’enclos qui pourrait marquer, d’après Gabriel Fournier, l’emplacement de l’ancienne basse-cour. Cet espace assurait la protection de la population qui relevait du ressort de la motte. Plusieurs souterrains y ont été découverts et semblent rayonner autour de la motte.

Mais le tracé de cet enclos pose le problème de la construction de l’église paroissiale Saint-Christophe (actuellement Saint-Barthélemy), à l’écart des aménagements fortifiés. L’église primitive était-elle antérieure à la motte ou le seigneur donna-t-il une terre pour la construire ? Peut-être l’église a-t-elle succédé à un lieu de culte plus ancien, qui remonterait, d’après des découvertes anciennes de tuiles à rebords, à l’époque gallo-romaine.

Classée à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques depuis 1991, la motte de Giat est la plus volumineuse et la mieux conservée d’Auvergne. Vraisemblablement édifiée au XIe siècle par un comte d’Auvergne soucieux d’affirmer son autorité dans la partie occidentale de ses possessions, cette fortification de terre et de bois fut ensuite abandonnée après la construction au XIIe siècle des châteaux en pierre de Fernoël, d’Herment et de Crocq.

 

La collégiale Notre-Dame d’Herment

À Herment, la construction du château puis celle de l’église sont deux événements étroitement liés : vers 1145, Robert III, comte d’Auvergne, après avoir édifié le château au sommet de la butte volcanique, fit construire à ses pieds une église. En 1157, le même Robert, désirant participer à la deuxième croisade, fit don de l’église d’Herment au chapitre cathédral de Clermont qui y fonda à son tour un chapitre : en 1232, l’église devint donc collégiale.

À l’origine d’une paroisse nouvelle, le château et l’église ont également servi de base à la création d’une ville neuve qui entérinait le développement et la prospérité que connut Herment au XIIIe siècle. Un essor qui fut interrompu par les événements de la guerre de Cent Ans, dont témoigne le « Trésor de Barberol » découvert en avril 2001.

De la grandeur passée d’Herment, seule la collégiale Notre-Dame a survécu aux attaques des hommes et du temps. Classée monument historique, il s’agit d’un édifice de transition, aussi bien sur le plan géographique, entre l’Auvergne et le Limousin, que sur le plan chronologique, entre l’art roman et le gothique. Ses dimensions en font l’une des églises les plus imposantes d’Auvergne : 53 mètres de long pour 20 mètres de large.

La collégiale a pour particularité d’être édifiée à contre-pente, sur un terrain à forte déclivité. Le narthex se trouve ainsi totalement occupé par un grand escalier de quinze marches. La structure romane de l’édifice se démarque des formules auvergnates classiques et offre des signes évidents d’une influence limousine : coupole sur pendentifs, nef en berceau brisé sur doubleaux, bas-côtés voûtés en quart de cercle. L’ensemble présente une grande austérité. Les seuls chapiteaux historiés sont à la croisée du transept et figurent des gnomes.

Le chantier mené à partir de 1145 aura finalement abouti, au début du XIIIe siècle, au portail occidental qui annonce le style gothique ; les portes sont ornées de pentures en fer forgé. D’après Anne Courtillé, les trois oculi de grandes dimensions — qui assuraient notamment l’éclairage de l’édifice — constituent aussi un indice de transition, tout comme les bases à griffes des piliers.

Plus récemment, la collégiale a joué un rôle dans la définition du mètre étalon, ce que rappelle une inscription lapidaire d’octobre 1811, située à l’intérieur de l’édifice, à gauche du grand portail, sous l’ancien clocher Saint-Nicolas, détruit depuis pour cause de vétusté.

Pierre Ganne